Le jouet, premier pas vers la culture.

 

La culture a été certainement définie maintes fois mais l’effort de la redéfinir encore demeure légitime car c’est là une tribune pour parler de ce qu’il y a de plus profond, de plus subtil dans notre nature humaine, pour faire le point sur là où nous en sommes dans le développement de notre connaissance de soi comme humanité.

 

Dans les réflexions sur la place de la culture dans notre société, dans les medias télévisuels ou radio, par exemple, nous sommes souvent confrontés à la dualité entre culture et divertissement.

 

Quand j’observe les enfants qui jouent avec le plus grand sérieux avec des jouets simples, je réalise que la culture c’est aussi l’affaire de l’enfance et que, là aussi, une polarité analogue existe entre culture, chez l’enfant cette fois, et divertissement.

 

La culture s’adresse à l’universel en l’homme. La culture fait grandir, le divertissement repose. La culture a besoin de raffinement, de nuances, de finesse pour traverser un seuil subtil et nous conduire dans un espace intérieur où le ressentir devient organe de perception de ce qui cherche  à prendre forme, à se manifester dans l’œuvre d’art. Le divertissement n’a pas besoin de tant de subtilité pour avoir l’effet souhaité, à savoir, le repos, la détente, la pause.

 

Le petit enfant, avec son jouet, passe continuellement ce seuil, celui de là où son être intime s’anime. Toutes ses images intérieures se transposent sur le jouet. Celui-ci prend la forme que lui donne sa pensée imaginative. Par cette activité, l’enfant manifeste sa nature profonde; il se voit, il se connaît  dans et par son jeu, et par cette connaissance de lui-même, il s’humanise.

 

Observons, par exemple, un enfant occupé à jouer avec son train en bois sur roulettes et un petit pont de construction artisanale. Il fera le tour de tout ce qu’il peut contourner, escaladera tout ce qu’il peut escalader, pénètrera dans tous les tunnels possibles mais reviendra régulièrement se délecter à passer sur le petit pont. Au nombre de fois qu’il passera et repassera, on peut deviner qu’il y a là une image qui l’intéresse au plus haut point. On peut y voir l’archétype d’un passage, d’un avant et d’un après, d’un ici et d’un ailleurs. Or cette image intéresse tous les enfants de tous les pays, de toutes les époques, de toutes les classes sociales. Elle s’adresse à l’universel en l’homme, comme la culture.    

 

Le  marché du jouet entre dans l’univers de l’enfance avec des personnages issus des émissions de télévision ou simplement moussés par une publicité toute puissante; il n’y a presque plus d’espace  pour que l’enfant puisse insuffler sa vie individuelle dans et autour de son jouet. De plus, ces jeux, souvent, le maintiennent immobile physiquement et mentalement. Il n’y a plus d’activités, il n’y plus d’effort. Là, le jouet est divertissement et l’enfant, spectateur.

 

Un jouet créé avec soin et égard pour l’âme enfantine est un jouet qui permet d’amorcer l’activité imaginative et qui laisse à l’enfant un espace libre pour s’y engager. Dans cet espace, il peut déployer toute sa force personnelle avec joie pour créer l’histoire de ce qui vit en lui. Cet effort lui apporte la plus profonde satisfaction. C’est la culture chez l’enfant.

 

Pour amorcer cette activité imaginative, on peut fournir des éléments qui permettent de transformer l’espace et des éléments pour y jouer à l’intérieur. Pour transformer l’espace, il y a les tissus de différentes grandeurs, couleurs ou textures, des pinces, des cordelières, des bancs ou petites chaises, une petite table, un paravent, des bâtons …; pour créer des espaces en plus petit, il y a des planchettes et bâtonnets, des clôtures, des petits ponts, des arbres, des soies de toutes couleurs, des fermes, des maisons de poupées... Quant aux  éléments pour y jouer, on peut penser à tout ce qui peut servir de contenant et de contenu.  Comme contenant, il y aura un coffre, une petite étagère, une patère, un chariot, un landau, un berceau, une brouette, un seau, des  paniers,  une valise, différents sacs et besace; comme contenu, on peut y mettre : du bois de toute forme, des  billes, des châtaignes, glands, pommes de pin, des poupées et figurines, des animaux domestiques et sauvages, des outils, des coussins, des costumes...

 

On doit aussi penser à tout ce qui peut engendrer les jeux de rôles et d’imitation : les épées et boucliers, la cape de prince ou de princesse et leurs couronnes,  la toque du pâtissier et ses ustensiles, le tablier du boulanger, le coffre d’outils jouets, la dinette et quelques éléments de nourriture en bois ou en laine etc.

 

Le coin art et artisanat peut s’étoffer de papier, crayons et craies de cire d’abeilles, de pinceau et aquarelle, de morceaux de feutrine, de laine cardée et filée; un instrument de musique de qualité, si petit soit-il, peut avoir une portée très grande dans la vie de l’enfant; il peut s’étoffer aussi de quelques beaux livres où le dessin y est sensible, capable de révéler un aspect de la poésie de ce qui est dessiné - ce que la  caricature arrive difficilement à rendre.

 

Pour l’adulte ouvert à  l’œuvre d’art, l’image artistique, qu’elle soit poésie, musique, arts visuels, ou art de la scène, trouve un écho dans sa vie intérieure. Pour l’enfant, l’activité physique et imaginative qu’il déploie pour animer son jouet, lui donner vie, crée l’univers de ses jeux qui sont l’écho de sa vie intérieure; le plaisir qu’il en a éprouvé, il le recherchera, à l’âge adulte.

 

Jouer librement dans l’enfance se métamorphose en  joie de l’effort pour retrouver, dans la vie adulte,  ces instants de contemplation.  Dans ce sens, l’activité physique et imaginative engendrée par le jouet simple, ce sont les premiers pas de l’enfant vers la culture.    

 

Marguerite Doray,

Professeur à l’École Rudolf Steiner de Montréal 1981-2001.

Propriétaire de la boutique La Grande ourse, jouets pour la Vie.